A travers ce récit, je souhaite te montrer la façon dont je mets en place les principes de la Préparation Mentale dans mon sport. Tu y découvriras mes ressentis, mes interrogations, mes erreurs, mes évolutions. J’essaye d’être un maximum transparent afin que tu puisses te projeter dans mes aventures et tirer les conclusions qui peuvent te servir dans ta vie de tous les jours.
Je tiens à rappeler que même en étant coach préparateur mental, je fais des erreurs. Et c’est tout à fait normal, nous en faisons tous et nous en ferons encore. Le plus important étant à chaque fois d’en tirer les leçons et de corriger le tir pour les échéances à venir.
Sur ce, il me reste à te souhaiter bonne lecture, en espérant que tu tires des bénéfices de ce contenu.

Préparation de la course
Cette course est mon dernier trail de préparation avant le gros objectif de l’année 2022 en septembre : L’Infernal trail des Vosges (205km/10000D+). Le but était de tester pour la première fois une course avec un tel dénivelé et surtout mettre en place une nouvelle routine pour palier à mes défaillances émotionnelles pendant la course.
Depuis ma dernière course Transju’trail, j’ai manqué pas mal de sorties longues liées à mes nombreux déplacements sur le dernier mois. Je continue ma transition vers le minimaliste (sorties allant jusqu’à 20km maintenant en sandales de course). La transition se passe bien et je suis très satisfait des premiers résultats et ressentis. J’ai également réalisé ma première rando-séminaire dans le Queyras avec un groupe sportif (135km / 7660D+).

Côté motivation en course à pied, je commence à sentir une lassitude à m’entrainer seul. Je cours majoritairement solo depuis le premier confinement en 2020. Ca m’allait bien jusqu’à présent, mais je sens que cette année 2022 marque un essoufflement. Je vais chercher plus sérieusement un groupe de coureurs autour de chez moi.

Ultra Tour du Beaufortain – Finisher en 24h51min55sec
Objectifs initiaux – Tester ma nouvelle routine (Appeler des amis en cas de défaillance émotionnelle) – Finir la course (idéalement autour de 17h de course)
Samedi 16 – Départ 4h : Levé à 2h pour prendre un petit-déjeuner efficace. J’ai deux acolytes avec moi sur cette course : Tanguy et Rémi. Nous partons d’Albertville pour rejoindre le départ à Queige. Il fait déjà 16° à 4h du matin. La journée s’annonce chaude. Musique dans les oreilles, j’allume la frontale. Le départ est donné, c’est parti pour une journée à la découverte du Beaufortain !

KM16 / D+1829 – 24ème, 2h27 – Chalet des Soufflets
Les 11 premiers km sont les plus raides de la course. Beaucoup de pentes entre 20 et 30%. J’essaye de partir à mon rythme en faisant abstraction des concurrents (pas évident car il y a du beau monde). Je me sens très bien dans la montée. Je suis grosso-modo dans mes temps de passage estimé. Le soleil se lève assez vite. A la première bascule, je retire la frontale et la remplace par la doublette casquette/lunette.
KM33 / D+2781 – 26ème, 5h02 – Lac des Fées
Je lève un peu le pied dans cette portion montée/descente. Les premiers km ont été raides, il s’agit de lever le pieds pour ne pas se cramer pour le reste de la journée. Le passage sur la passerelle de St Guerin est superbe. Le soleil s’élève dans le ciel. A 9h, il fait déjà très chaud.
KM42 / D+3721 – 42ème, 7h14 – Refuge de Presset
La course commence déjà à se compliquer. Ma première défaillance correspond avec les premiers rayons chauds du soleil.
Le ravitaillement au lac des Fées ne me donne aucune énergie. Je mange mais j’ai l’impression qu’aucune énergie n’arrive jusqu’aux jambes. Je commence à piétiner en montée (même sur les longues pentes à faible pourcentage qui sont généralement mon point fort), je fais plus que ralentir en descente. Les coureurs me dépassent bien trop vite pour que ce soit un simple coup de mou.
Mes premiers doutes s’installent sur mon allure de début de course. Est-ce que je me suis surestimé ? J’essaye d’appeler une copine pour tester ma routine mais le réseau est mauvais, on ne s’entend pas.
KM50 / D+3893 – 44ème, 8h29 – Cormet de Roselend
Je retrouve un peu d’énergie dans cette courte portion qui nous emmène au point le plus haut du parcours. Au refuge de Presset, je prend un première soupe qui fait du bien, mais je sens bien que le reste des aliments solides ont du mal à passer.
Lors de l’ascension j’appelle un copain tout en mangeant une pomme. Le réseau est meilleur, il me remonte le moral et j’en ressens les bienfaits. Arrivé au col du grand fond (2670m), j’ai retrouvé le sourire et plaisante avec des supporters. Avec une énergie retrouvée, j’attaque la descente jusqu’à Roselend avec décontraction.
Je me sens bien, je me dis que c’est bon, j’ai enfin trouvé mon rythme… Ce sera de courte durée…
KM67 / D+ 4805 – 61ème, 12h24 – Hameau de la Gittaz
Au cormet de Roselend, nous pouvions récupérer un sac de délestage. J’y avais mis de la nourriture qui me fait envie en fin de footing. Rien ne passait. J’ai repris une soupe, quelques fruits et puis c’est tout. Rien ne me faisait envie. Ma consommation d’eau est plus importante que d’habitude pour pallier à la chaleur. Est-ce ce changement qui impacte mon estomac ?
Je repars en marchant et là débute mes premières crampes d’estomac. Elles durent 2km, puis l’énergie revient un petit peu, j’arrive à avancer en marche forcé. Arrivé au col de la Sauce (57ème km), nous avons une vue magnifique sur les lacs de Roselend et de la Gittaz puis sur le Mont blanc.

Là ça se complique grave. Je titube, je marche au ralenti même sur les portions planes. C’est le défilé des coureurs à côté de moi. Si je ne perds pas plus de place au classement, c’est que des gens commencent à abandonner. J’essaye de manger, mais dans la foulée j’ai des crampes à l’estomac. Je veux appeler des gens mais le réseau est absent.
J’ai la gorge nouée, je ne comprends pas ce que veux mon corps. Il me réclame de l’énergie mais refuse d’en ingérer. Je me sens impuissant. Arrivé à La Gittaz, je m’assieds sur un banc complètement déboussolé.
KM78 / D+5580 – 71ème, 15h44 – Lac de la Girotte
Beaucoup de gens sont dans le même état que moi. La chaleur à l’air d’en abattre plus d’un et nombreux rendent leur dossard. Je ne sais pas si c’est un excès d’orgueil, un peu de folie ou c’est un tout, je décide de repartir bien décidé à retrouver des sensations. Il n’y a que la soupe qui passe, donc j’en prends plusieurs.
La montée vers la Girotte est une nouveauté sur le parcours. Je la passe à discuter avec un coureur. Discuter me fait du bien, je sens le rythme qui s’accélère. “Tiens, ça y est, ça a l’air de revenir, mangeons voir un truc pour voir si ça passe”. Chou blanc, les crampes reviennent. P*tain !
Dans la descente vers le barrage de la Girotte, je me fais peur. Même boire de l’eau commence à me donner des crampes. Heureusement le réseau est de retour. J’appelle plein de monde. Je reçois le précieux conseil d’avaler du liquide sucré pour ne pas tomber en hypo. La soupe, c’est bien beau, mais ça apporte tout juste le sel que je perds en transpiration. Qu’elle est longue cette portion !
KM92 / D+6241 – 76ème, 19h13 – Hauteluce
Dans l’ascension qui m’emmène sur les hauteurs de Hauteluce, je continue d’appeler des copains. Au ravitaillement, j’ai emmené plein de pompotes avec moi que j’ingère régulièrement. Je ne peux toujours pas courir au risque de redémarrer les crampes d’estomac mais je marche sur un bon rythme.
Je commence à prendre conscience que je vais arriver en plein milieu de la nuit. Initialement, je prévoyais de finir au coucher du soleil… Et ba je vais avoir bien le temps de le voir ce coucher de soleil, mais pas depuis l’arrivée ! Je vois quand même le côté positif, c’est un bon entrainement pour septembre.

Autant l’ascension se passe bien et me redonne espoir de bien finir… Autant la descente très raide vers Hauteluce, sans énergie dans les jambes me remet dans un calvaire pas possible, le hoquet en plus. Cette descente n’en finit pas et va se finir dans la nuit. Le truc qui me fait tenir ? Des copains m’attendent en-bas, je vais pouvoir faire un mini bout de chemin avec eux.
Et puis quoi, il reste moins d’un marathon maintenant. C’est quoi un marathon ? Un marathon qui va durer 11h quand même…
KM100 / D+6871 – 75ème, 21h18 – Les Saisies
Ah les copains ! Ca fait du bien de les voir sur le bord de la route. C’est con hein, mais 100m plus tôt, j’étais incapable de courir, je faisais la grimace. En les voyant, j’ai des jambes qui reviennent et le sourire en prime.
Je suis content d’avoir mis cette routine en place d’appeler des copains pendant la course. Ca me donne à chaque fois une bonne fessée pour retrouver le sourire et me faire avancer. Au moins j’aurais gagné ça pendant cette course !
En repartant de Hauteluce, il me reste grosso-modo un semi-marathon. Ca va le faire. L’ascension vers les Saisies démarre très bien. Encore une fois, la petite soupe et les pompotes me donnent l’énergie suffisante pour faire une montée pas trop dégueu. Par contre à la moindre descente, je suis obligé de piétiner, complètement en manque d’énergie dans les cuissots.
FINISH : KM114 / D+7200 – 90ème, 24h51min55 – Queige
“Allez mon gars, tu touches au but. Tu vas le faire, tu vas réussir !”. Quand je repars des Saisies, je me répète ces phrases pendant l’ultime ascension. Encore une fois, je la monte très bien, je suis content, j’arrive même à re-trottiner. Mais oui yes, enfin. Il en aura fallu du temps, mais ça revient ! Oui, c’est beau, mais une fois de plus, il y a un mais…
Les 6 derniers km sont uniquement de la descente. Et là, les jambes ne répondent absolument pas. Je suis à la limite de me mettre sur les fesses ou descendre en marche arrière pour diminuer la douleur dans les cuisses. Pour le coup, là, le cerveau s’est déconnecté. La montre aussi, je ne sais plus où j’en suis. Je sais que je vais finir maintenant, donc tant pis si je met 3h pour faire ces 6 derniers km. Ils sont interminables mais je vais pouvoir finir. Je ne veux juste pas me blesser.
Sur la toute fin, j’ai mon copain Tanguy, parti plus lentement qui me rattrape. Il a géré son effort et son alimentation toute la course. Il m’accompagne pour que nous finissions ensemble sous l’arche d’arrivée. On entend le speaker, toujours debout. L’autre copain Rémi, blessé assez vite dans la course et forcé à l’abandon est là aussi pour nous encourager dans les derniers mètres.
Ca y est, on y est, nous sommes finishers de l’Ultra Tour du Beaufortain !


Bilan Préparation Mentale de la course
Les points positifs :
ROUTINE DE PERFORMANCE / GESTION DES EMOTIONS : Après la Transju’trail, j’avais à coeur de mettre en place une routine en cas de défaillance émotionnelle. La fatigue fait sauter des barrières, un rien fait surgir une émotion (positive et négative). Essayer de contenir ses émotions ajoutent du stress dans le corps. Déjà que l’énergie est au plus bas, si je la consacre à refouler les émotions, il ne va plus rien me rester dans les gambettes.
Le moyen que j’ai souhaité mettre en place pour évacuer ce trop-plein d’émotion est d’appeler des ami.e.s ou de la famille. Parler me fait du bien, j’oublie un moment l’effort et je laisse libre-expression aux émotions : Mettre des mots sur ce que je ressens, libérer mes doutes. Je n’attends pas forcément une réponse ou solution de la part de mes interlocuteurs. Juste d’une oreille attentive qui me renvoie la balle pour tout évacuer.
L’exercice est difficile pour ceux que j’appelle, car c’est rarement un moment où je suis au top. Ils ont tous remplis le contrat à merveille. Je suis très content du résultat. Parfois le réseau manque et c’est frustrant mais quand ça marche, c’est le kiff !
ESTIME DE SOI : J’ai su très vite que le résultat attendu n’allait pas être atteint, et de loin. Clairement l’ego est mis à mal. Ma petite fierté personnelle en a pris un coup quand mes concurrents ont commencés à me dépasser comme des avions. J’étais en train de vivre une situation d’échec.
Sans mon travail sur l’estime, je n’aurais peut être pas eu le recul nécessaire sur ce que je vivais. Avec un focus trop forcé sur la course à pied, j’aurais pu me qualifier d’échec ambulant. Mais la course à pied ne me définit pas. Elle est importante pour moi, mais elle n’en est qu’une partie. Durant toute la course, je n’ai jamais douté de ma valeur. Je vois ça comme une force qui m’a permis de continuer.
MOTIVATION : J’ai pu mettre mon sentiment d’engagement et mes valeurs à rude épreuve. J’aime faire des bons résultats, envoyer du bon chrono, être bien classé, me sentir beau dans l’effort, c’est sûr… Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Si je n’avais “que” ça, j’aurais abandonné la course.
Ce que je préfère et que j’ai pu montrer dans cette course, c’est le goût de l’effort et l’abnégation.
OUI le moment est long et désagréable, OUI j’aurais préféré arrêté pour mettre fin à la galère, OUI c’était un jour sans, OUI je considère cette course comme un échec. Mais la vie c’est ça aussi, des échecs. Mais des échecs qui sonneront plus tard comme des réussites car ils me permettent de grandir. Et pour grandir parfois, il faut se faire violence. Chez moi, ça passe par cette abnégation. Je suis fier d’avoir montrer cette facette là de ma personnalité.
Les points à améliorer :
GESTION DE L’ENERGIE : Le gros point noir de cette journée : Mon incapacité à m’alimenter correctement à plomber ma course du 35ème au dernier km de course. C’est la première fois que des crampes de ce type m’arrivent. La solution pompote/soupe a fonctionnée pour me maintenir à flot pendant la course mais ce n’est pas la solution optimale.
Je n’ai pas encore trouvé les origines de cette défaillance. Alors est-ce la chaleur ? Un départ trop rapide ? Un aliment mal digéré ? Une consommation d’eau plus importante qu’habituellement ? Trop ou pas assez salé, trop ou pas assez sucré ? Une autre carence ? Est-ce que j’aurais dû me forcer à plus manger malgré les crampes ? Est-ce que j’aurais du m’arrêter plus longtemps pour laisser passer les douleurs ? Est-ce que l’altitude a impacté mon processus classique de digestion ?
Beaucoup de questions, pas trop de réponses pour l’instant. Mais je vais devoir en trouver si je ne veux plus revivre une telle défaillance.

Toujours est-il que le parcours est formidable ! J’en ai pris plein les mirettes !
Si tu aimes les courses à challenge, celle-ci en fait clairement partie. Seulement 230 coureurs sont arrivés sur les 580 au départ !
Un grand merci aux organisateurs / organisatrices de cette course, aux bénévoles, aux supporters / supportrices. J’ai passé un moment dur mais inoubliable !
Lien organisation : Ultratour-beaufortain
Trace Strava : Finisher – Ultra tour du Beaufortain 💪